Comberview est une petite
bourgade campagnarde, nichée au cœur des collines du Combershire, un comté
assez éloigné de la capitale. Il fallait faire environ quatre heures de route
pour rejoindre Mansfield, la capitale, en voiture. Une grosse semaine en calèche,
pour les récalcitrants qui préféraient utiliser les moyens anciens et ne pas
céder aux sirènes de la modernité. Car Comberview était en permanence tiraillée
entre le passé et l’avenir. Les paysans s’en remettaient aux cycles de la lune
et du soleil pour leurs récoltes, ce qui leur valait parfois bien des déconvenues.
L’espérance de vie était aléatoire, la bourgeoise et la noblesse avaient des
représentants très âgés dans leur rang. Au-delà
du caractère pittoresque de Comberview, celle-ci recelait de coins plus champêtres
les uns que les autres, et ceux qui habitaient là appréciaient particulièrement
cette communion avec la nature.
Thomas Bowcroft était le prêtre
de la paroisse. Il était encore jeune, il avait tout juste atteint la quarantaine,
mais il paraissait plus vieux. La vie n’avait pas été tendre avec lui. Il était
originaire du woodland, une lande désolée, livrée aux bandits et aux pillards,
dans laquelle les autorités n’arrivaient pas à éradiquer les hordes de pirates
qui se livraient aux exactions les plus terribles. Plus jeune, il avait vu
mourir, sous ses yeux, avec son jeune frère Angus, ses parents, tués par des bandits
de grand chemin. Il avait eu à cet instant le besoin d’avoir une vie spirituelle
intense. Il s’était mis à croire en Dieu. Et tout naturellement, il avait
embrassé la carrière ecclésiastique à l’âge de 20 ans. Et dix ans plus tard, il
était venu s’installer à comberview après la mort du Père James, pour prendre
en charge la paroisse, tout en cachant soigneusement son accent des Woodlands.
Thomas Bowcroft était parti des
woodlands en laissant son jeune frère, Angus, à la charge de son oncle et de sa
tante. Le temps passant, il avait eu des nouvelles plus espacées, pour finir de
ne plus en avoir du tout. Ne pas savoir ce qu’était devenu son frère était une des
grandes douleurs de Thomas Bowcroft. Il espérait juste ne pas avoir à apprendre
sa mort brutale, car Angus était un garçon assez explosif et téméraire, et
prenait beaucoup de risques. A son arrivée à Comberview, personne ne savait d’où
cet homme taciturne venait, et il parlait très peu de son passé. Alors, Thomas
prenait sa canne de pelerin, et allait visiter toutes les fermes du comté, même
les plus isolées, et avait, petit à petit, gagné la confiance des habitants.
Impliqué dans la vie de
Comberview, Thomas Bowcroft s’était spécialisé dans la réinsertion des enfants
du village.
- Bonjour mon père.
- Rufus ! Je suis heureux de te voir. Que
deviens-tu ?
- J’ai eu mon diplôme mon père, vous savez. Je
vais partir à Mansfield. Il y aura certainement du travail pour moi.
- Une amie m’écrit souvent de Mansfield. Le
commerce a explosé. Ils cherchent de la main d’œuvre, je suis certain que tu
trouveras bien vite.
- Merci beaucoup, je n’oublie pas ce que je vous dois.
- Je ne fais que l’œuvre de dieu mon fils. Il a un
dessein pour chacun de nous.
Et Rufus était parti, et Thomas
Bowcroft avait été très fier de son protégé.
A Comberview, il y avait des grandes
familles installées depuis des siècles. Si Thomas Bowcroft se préoccupait avant
tout de ses ouailles les plus pauvres, il n’oubliait jamais de rendre également
visite aux autres, car « Dieu aime tous ses enfants » aimait-il à rappeler.
Il appréciait tout particulièrement une des plus vieilles familles du comté.
Charles de Restour était né ici, et
n’avait quitté Comberview uniquement l’espace de quelques mois, le temps de
faire son service militaire. Il était revenu de Mansfield dégouté, et avec une
femme dans ses bagages. Louise Chalumet était une roturière, mais Charles était
seul depuis bien longtemps, et surtout Louise avait le caractère souple et doux
qui lui convenait parfaitement. L’armée avait fait de Charles un homme rebelle,
et même si ses parents avaient encore été vivants, il aurait épousé Louise.
Mais Edouard de Restour était mort lorsque Charles était encore un bébé, et Chantal,
sa mère, l’avait suivi dans la tombe quelques semaines après son retour de
Mansfield. N’ayant jamais connu son père, Charles en avait souffert, et pour
compenser, il s’occupait énormément de sa fille Emilie.
Cette année-là, l’hiver avait été
particulièrement rigoureux, et le comté avait du s’appuyer sur les ressources
du comté de Mansfield pour survivre, car les recoltes avaient été deux fois
moins importantes qu’à l’accoutumé. Charles de Restour en avait eu mal au cœur pour
les paysans, et partait souvent faire le tour des fermes en compagnie de Thomas
Bowcroft, avec lequel il avait lié une forte amitié. N’ayant souvent personne
à qui parler de ses inquiétudes, Charles s’épanchait auprès de Thomas.
- Louise est alitée, elle est de constitution
fragile, je ne sais pas si elle supportera une deuxième grossesse.
- Ayez confiance en dieu, Charles. S’il veut que
cet enfant vive, il vivra.
- J’aimerais avoir votre foi. Je l’ai perdu en
faisant mon service militaire. Et avec les incidents avec les gens du Nord et du
woodland.
Thomas tressaillit. Cela faisait
tellement longtemps qu’il n’avait plus entendu parler du woodland que le comté
était devenu comme un comté imaginaire pour lui.
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