La Bussy avait bien changé depuis toutes ses années. Le
Centre de Vincent avait été revendu, et il avait retrouvé un emploi d’employé
dans la ville voisine de La Roche sur Bussy. L’échec avait été dur à digérer
pour lui. Mais l’histoire s’était mieux terminée que vingt ans auparavant. D’abord
parce qu’il avait retrouvé ses amis d’enfance. Il avait changé d’avis sur
Nicolas et la rancœur qu’il pouvait éprouver vis-à-vis de lui s’était finalement
muée en une forte reconnaissance. C’était lui qui avait sauvé le centre de la
faillite et lui encore qui avait ramené Laure près de lui. Ils s’étaient mariés
rapidement après leurs retrouvailles comme s’ils voulaient rattraper le temps
perdu. Et à la mort des parents Roux, Laure avait hérité d’une coquette petite
somme, qui leur avait permis la construction d’une jolie petite maison dans
laquelle ils vivaient aujourd’hui.
Laure et Vincent avaient eu deux enfants. Au départ, Laure n’en
voulait qu’un seul. Elle tenait beaucoup de son frère, et avait le même
caractère effronté. Effronté et ambitieux. Sa carrière comptait beaucoup pour
elle. Ils avaient eu Christophe un an après leur mariage. Celui-ci avait aujourd’hui
seize ans, et était devenu un beau jeune homme. La première grossesse de Laure
avait été suffisamment éprouvante pour que celle-ci en refuse l’idée même d’une
deuxième. Mais parfois la vie réserve des surprises, et lorsqu’elle était
tombée une deuxième fois enceinte, elle avait dû en prendre son parti. Et lorsque
la petite Coralie était née, Laure avait été aussi heureuse que pour
Christophe, c’est-à-dire modérément, car l’instinct maternel n’était pas son
fort.
Les premiers temps de leur installation dans leur nouvelle
maison furent les plus durs. Ils avaient à faire face à toutes sortes d’obligations
sociales, notamment vis-à-vis de leurs amis, et ils allaient souvent dîner ou
prendre l’apéritif les uns chez les autres. Mais il n’y avait pas seulement ça.
La Bussy s’était développée bien sûr, et de nombreux lotissements avaient vu le
jour sous l’impulsion d’un maire qui accordait les permis de construire comme
une grand-mère donnant des câlins à ses petits-enfants. Beaucoup de permis, et
pour certains habitants, beaucoup trop. La ville avait donc vu l’arrivée d’une
nouvelle faune avec un œil désabusé. Et certaines personnes, sans aucune gêne,
n’hésitaient pas à aller s’incruster avec les habitants de plus longues dates. Même
les jours d’orages. Mais parfois aussi, le ciel était clément, et les
vengeaient, en choisissant de frapper de foudre les enquiquineurs. Le pauvre
Gilbert Jacquet en avait été une des victimes.
Si Christophe n’était pas un vilain garçon, loin de là, il n’avait
malheureusement pas hérité du tempérament hardi de sa mère. Il était souvent
timide et gauche, et préférait les occupations seul, y compris les occupations
les plus enfantines. Les jours de pluie étaient d’ailleurs ses préférés. Il résistait
rarement au plaisir de sauter les deux pieds joints dans les flaques d’eau,
comme lorsqu’il était petit. Il était d’une grande consolation aussi pour sa
mère, car il adorait s’occuper de sa petite sœur et lui apprendre les mêmes
bêtises. Elle était encore trop jeune pour le suivre dans le jardin, mais il
lui apprenait comptine et propreté, tout ce que ses parents n’aimaient pas tellement
faire. Christophe aimait beaucoup sa sœur, il aurait tout fait pour elle.
Christophe était un grand timide, comme Vincent. Et à part
les enfants des amis de son père, il n’avait pas d’amis. Si Vincent s’était
fait à la situation, Laure en était très contrariée.
- - Il faut que tu lui donnes confiance en lui,
répétait-elle sans arrêt à son mari.
- - Oh, arrête Laure, tu sais bien qu’il s’en
sortira, comme moi je m’en suis sorti.
Et Laure regardait Vincent d’un drôle d’air, un air qui
disait « cause toujours, si tu es là aujourd’hui, relativement heureux, c’est
grâce à mon frère et à personne d’autre ». Vincent haussait les épaules d’un
air navré, il connaissait la vérité autant que sa femme, mais refusait de
mettre une quelconque pression à son fils.
- - Et qu’est ce que tu voudrais que je fasse
seulement ?
- - J’avoue, je n’en sais rien, répondait Laure tristement.
Laure et Vincent avaient fini par tomber d’accord, et avaient
forcé Christophe à aller dans un club de sport. Les négociations avaient été
rudes, car Christophe était avant tout un intellectuel, mais ils avaient réussi
à arracher un compromis, compromis qui exigeait que Vincent prenne une part
active dans le redressement moral de Christophe. Et Vincent s’était aussi mis
au football avec son fils.
- - Tiens toi prêt Christophe, je vais tirer en
pleine lucarne.
- - Alors là papa, tu rêves éveillé. Jamais elle ne
rentre.
Laure les regardait jouer avec un petit sourire sur les
lèvres. Grâce à ce club, le gamin timide et gauche que Christophe avait été
devenait un grand garçon, qui ferait tomber toutes les adolescentes du quartier,
dixit sa mère. A chaque fois qu’il l’entendait dire cette phrase, Christophe
levait les yeux au ciel.
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