vendredi 19 juin 2020

RC - Episode 1 : Vincent






La Bussy avait bien changé depuis toutes ses années. Le Centre de Vincent avait été revendu, et il avait retrouvé un emploi d’employé dans la ville voisine de La Roche sur Bussy. L’échec avait été dur à digérer pour lui. Mais l’histoire s’était mieux terminée que vingt ans auparavant. D’abord parce qu’il avait retrouvé ses amis d’enfance. Il avait changé d’avis sur Nicolas et la rancœur qu’il pouvait éprouver vis-à-vis de lui s’était finalement muée en une forte reconnaissance. C’était lui qui avait sauvé le centre de la faillite et lui encore qui avait ramené Laure près de lui. Ils s’étaient mariés rapidement après leurs retrouvailles comme s’ils voulaient rattraper le temps perdu. Et à la mort des parents Roux, Laure avait hérité d’une coquette petite somme, qui leur avait permis la construction d’une jolie petite maison dans laquelle ils vivaient aujourd’hui.




Laure et Vincent avaient eu deux enfants. Au départ, Laure n’en voulait qu’un seul. Elle tenait beaucoup de son frère, et avait le même caractère effronté. Effronté et ambitieux. Sa carrière comptait beaucoup pour elle. Ils avaient eu Christophe un an après leur mariage. Celui-ci avait aujourd’hui seize ans, et était devenu un beau jeune homme. La première grossesse de Laure avait été suffisamment éprouvante pour que celle-ci en refuse l’idée même d’une deuxième. Mais parfois la vie réserve des surprises, et lorsqu’elle était tombée une deuxième fois enceinte, elle avait dû en prendre son parti. Et lorsque la petite Coralie était née, Laure avait été aussi heureuse que pour Christophe, c’est-à-dire modérément, car l’instinct maternel n’était pas son fort. 





Les premiers temps de leur installation dans leur nouvelle maison furent les plus durs. Ils avaient à faire face à toutes sortes d’obligations sociales, notamment vis-à-vis de leurs amis, et ils allaient souvent dîner ou prendre l’apéritif les uns chez les autres. Mais il n’y avait pas seulement ça. La Bussy s’était développée bien sûr, et de nombreux lotissements avaient vu le jour sous l’impulsion d’un maire qui accordait les permis de construire comme une grand-mère donnant des câlins à ses petits-enfants. Beaucoup de permis, et pour certains habitants, beaucoup trop. La ville avait donc vu l’arrivée d’une nouvelle faune avec un œil désabusé. Et certaines personnes, sans aucune gêne, n’hésitaient pas à aller s’incruster avec les habitants de plus longues dates. Même les jours d’orages. Mais parfois aussi, le ciel était clément, et les vengeaient, en choisissant de frapper de foudre les enquiquineurs. Le pauvre Gilbert Jacquet en avait été une des victimes. 





Si Christophe n’était pas un vilain garçon, loin de là, il n’avait malheureusement pas hérité du tempérament hardi de sa mère. Il était souvent timide et gauche, et préférait les occupations seul, y compris les occupations les plus enfantines. Les jours de pluie étaient d’ailleurs ses préférés. Il résistait rarement au plaisir de sauter les deux pieds joints dans les flaques d’eau, comme lorsqu’il était petit. Il était d’une grande consolation aussi pour sa mère, car il adorait s’occuper de sa petite sœur et lui apprendre les mêmes bêtises. Elle était encore trop jeune pour le suivre dans le jardin, mais il lui apprenait comptine et propreté, tout ce que ses parents n’aimaient pas tellement faire. Christophe aimait beaucoup sa sœur, il aurait tout fait pour elle. 








Christophe était un grand timide, comme Vincent. Et à part les enfants des amis de son père, il n’avait pas d’amis. Si Vincent s’était fait à la situation, Laure en était très contrariée.
-       -  Il faut que tu lui donnes confiance en lui, répétait-elle sans arrêt à son mari.
-       -  Oh, arrête Laure, tu sais bien qu’il s’en sortira, comme moi je m’en suis sorti.
Et Laure regardait Vincent d’un drôle d’air, un air qui disait « cause toujours, si tu es là aujourd’hui, relativement heureux, c’est grâce à mon frère et à personne d’autre ». Vincent haussait les épaules d’un air navré, il connaissait la vérité autant que sa femme, mais refusait de mettre une quelconque pression à son fils.
-       -  Et qu’est ce que tu voudrais que je fasse seulement ?
-       -  J’avoue, je n’en sais rien, répondait Laure tristement.





Laure et Vincent avaient fini par tomber d’accord, et avaient forcé Christophe à aller dans un club de sport. Les négociations avaient été rudes, car Christophe était avant tout un intellectuel, mais ils avaient réussi à arracher un compromis, compromis qui exigeait que Vincent prenne une part active dans le redressement moral de Christophe. Et Vincent s’était aussi mis au football avec son fils.

-   - Tiens toi prêt Christophe, je vais tirer en pleine lucarne.
-   - Alors là papa, tu rêves éveillé. Jamais elle ne rentre.
Laure les regardait jouer avec un petit sourire sur les lèvres. Grâce à ce club, le gamin timide et gauche que Christophe avait été devenait un grand garçon, qui ferait tomber toutes les adolescentes du quartier, dixit sa mère. A chaque fois qu’il l’entendait dire cette phrase, Christophe levait les yeux au ciel.

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