Tous les jours, je regarde le journal que m'apporte Aurélien. Il ne s'arrête plus pour discuter le petit, je me demande bien ce qu'il a. J'essaye, en scrutant chaque page du quotidien, de trouver le moindre indice qui pourrait nous aider à avancer dans notre quête, mais il n'y a rien. De quoi devenir chèvre. Ce qui m'intrigue vraiment, c'est d'imaginer comment font les journalistes pour écrire dix pages de faits divers. Entre Daisy City et Old Town, il ne devrait pas y avoir autant de matière. Et pourtant, il y a. A chaque fois que je suis allé en ville, tout semblait calme et tranquille, peut être trop même. Mes concitoyens se déchaîneraient-ils à chaque fois que je remets le pied chez moi ? Je fais part de mes doutes à Irène, mais elle se contente de lever les yeux au ciel, sans répondre. Je me demande si, à mon tour, je ne devrais pas me mettre en quête du comte Laurent Fernand. L'envie me tenaille, mais je me ravise. Quelques semaines plus tôt, j'avais l'attitude inverse. Je ne prendrais pas ce risque, pas maintenant du moins. S'il m'arrivait quoi que ce soit, je ne serais plus là pour prendre soin de mes enfants, Marguerite, et ce bébé que porte Irène. Je ne mourrais pas avant de l'avoir connu ! Sachez-le !
- Marguerite, ça suffit, arrête de pleurer !
- OUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIINNNNNNNNNNNNNNNNNN
- J'arrive !
- Qu'est ce qu'elle a ?
- Tu as vu ce que tu en as fait Robert ? Elle ne peut même pas attendre de sortir de son lit ! Il faut qu'on soit au garde à vous pour elle ! Elle est pourrie gâtée !
Je dois admettre que ma fille prend un mauvais départ, et c'est en partie ma faute. Aussi, j'ai décidé de la remettre dans le droit chemin.
- Ne t'inquiète pas Irène, je vais la rééduquer !
- Comme si c'était une peste !
- Mais c'en est une !
- Tout est relatif !
- C'est toi qui prends sa défense maintenant ?
- Et alors ?
- Je me charge de son éducation.
Après des heures de palabres, nous sommes finalement tombés d'accord, Irène et moi. Je serais le professeur du langage et de la bonne conduite. Irène fera le reste. Lorsque j'ai commencé, je me suis rendu compte des mauvais travers de Marguerite, et surtout de l'ampleur de la tâche.
- Allez Marguerite, s'il te plait, dis Biberon.
- Bbron
- Bi-be-ron
- Bibon
- Non, marguerite, Biberon.
Il s'en faut de peu que je ne perde patience. J'ai l'impression que ma saleté de fille fait exprès de me tourner en bourrique. C'est une petite intelligente, et elle a parfaitement compris ce que je lui demandais de dire. Mais son mauvais caractère l'emporte, et elle fait tout pour me contrarier.
- Ma-man
- Man
- Non, Marguerite, Maman
- Ma ?
J'ai failli abandonner plus d'une fois. Mais à chaque fois que je me relevais, je voyais le regard désapprobateur d'Irène posé sur moi, et je me ravisais. Si je perdais la face devant ma fille, ça en était fini de moi et de mon autorité, et je le savais parfaitement.
Pour le bonheur de mes enfants, mes performances m'ont rapporté une étrange machine. C'est une machine à biberon vitaminé. D'après les pédiatres, cela donne aux enfants l'envie et la capacité d'apprendre plus rapidement. J'ai tout de suite essayé sur mon aînée. Et miracle, non seulement cela l'a assagie, mais en plus elle a tout assimilé. J'ai bien noté qu'il fallait que j'en garde un peu pour le futur poupon. Et comme je ne devais pas admettre que j'avais triché, j'ai dit à Irène que ce n'était que des biberons ordinaires. Un petit coup de pouce ne fait pas de mal ! Ma femme a été stupéfaite du changement qui s'était produit chez Marguerite. Elle m'a félicité. Bien sur, j'aurais voulu pouvoir faire crac crac pour fêter la rédemption de ma fille, mais elle s'est sentie fatiguée.
D'ailleurs en pleine nuit, Irène se sentit mal. Les contractions avaient commencé. Affolé, je me suis habillé rapidement, voulant emmener ma femme à la clinique. Et c'est là que je cherchais désespérément les clés de la voiture. J'ai cherché de partout, sous le lit, dans le canapé, sur l'étagère, dans l'entrée, impossible de remettre la main dessus. Et pendant ce temps là, Irène souffrait.
- Aie, oh Robert, je crois que je vais accoucher ici.
- Mais non, pas de panique, je vais bien les retrouver, ces clés.
- Mais je perds les eaux là …
- Tiens bon Irène, je les cherche.
- Aie … Oh mon dieu …
- Irène, je les aie trouvées, on peut y aller !
Et quand je suis rentrée dans le salon, j'ai vu la tête de mon bébé sortir d'Irène. Ni une, ni deux, j'ai pris mon courage à deux mains, et je l'ai aidée à accoucher. Finalement, une jolie petite fille est née. Je l'ai prénommée Agathe. Elle semblait si calme et si douce. Elle ressemblait à Marguerite comme deux gouttes d'eau. Si elles n'étaient pas nées avec deux années d'écart, j'aurais presque pu croire qu'elles étaient jumelles. Comme sa sœur, Agathe avait les yeux et la couleur de peau de sa mère, et comme sa sœur ma couleur de cheveux.
Quelques mois plus tard, et après des heures de rééducation, Marguerite fêtait son anniversaire. Sa petite enfance était terminée, c'était bientôt l'heure de l'école, et d'apprendre à lire, à écrire, à compter. Et surtout à être séparée de ses parents chéris. Elle paniquait un peu d'ailleurs, et cela a pris des heures et des heures à Irène pour la rassurer.
- Mais non ma chérie, tu ne seras pas malheureuse à l'école. Tu te feras des amis.
- Je ne veux pas !
- Tu n'as pas le choix. C'est obligatoire.
- Et toi ? Tu vas aller où ?
- Mais maman va retourner travailler ma chérie tu sais. Je ne peux plus m'occuper de toi.
- Mais Cécile, elle peut elle.
- Elle viendra quand tu rentreras de l'école.
Ça a été des discussions sans fin, mais finalement son premier jour d'école se passa bien. Elle était même ravie d'y aller. Chaque soir, elle nous racontait ses exploits. Nous étions très attentifs à sa réussite.
- Robert …
- Oui ?
- Nous devrions faire une demande pour l'école privée.
- Tu crois ?
- Oui, je pense que cela lui plairait.
- Très bien. J'inviterais donc le directeur pour l'année prochaine.
Au boulot quelqu'un avait débloqué ma situation. Je décrochais promotion sur promotion, ce qui nous avait permis d'agrandir la maison. Les filles ne seraient plus obligées de partager leur chambre, elles en auraient chacune une, surtout que la cohabitation était loin d'être évidente entre une jeune fille et une bambine. Marguerite se plaignait souvent des pleurs de sa sœur, j'étais donc ravi de pouvoir y remédier grâce à mon travail. Irène aussi profita de cette période plus que productive, puisqu'elle aussi obtint des promotions. Aujourd'hui, nous sommes tous deux au même niveau : responsables de recherches. Elle me fit une proposition qui me stupéfia.
- Tu sais ce dont j'ai envie Robert ?
- Non, de quoi ?
- D'un troisième bébé.
- Tu plaisantes ?
- J'ai l'air ?
- Non, mais pourquoi ?
- Parce que je pense que c'est le bon moment non ?
- Oui, peut être … Je vais y réfléchir.
EPISODE 6
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